• « Le trotskisme, une passion française »

    « Le trotskisme, une passion française »

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    « Le trotskisme, une passion française »

      

    En France, 10 % des électeurs votent aujourd’hui pour des candidats trotskistes ! Ce lien privilégié avec le révolutionnaire soviétique remonte aux années 1930. Au moment où Trotsky, en exil, constitue autour de lui les premiers réseaux.

    L’Histoire : Comment expliquer le succès du trotskisme en France ? Existe-t-il un lien particulier entre Trotsky et la France ?

    Marc Lazar : J’ai identifié au moins quatre séjours de Trotsky en France. Le premier en 1902, où il reste peu : il s’est échappé de Sibérie et il part rejoindre Lénine à Londres. A son retour, en 1902-1903, il reste plus longtemps en France : il prononce des conférences dans les milieux russes, et même à l’École pratique des hautes études, et rencontre Natalia Sedova, qui deviendra sa seconde femme.

    Le troisième séjour, beaucoup plus long, a lieu du 19 novembre 1914 au 31 octobre 1916. Trotsky se montre très actif et il fréquente Alfred Rosmer, rédacteur de La Vie ouvrière ; Pierre Monatte, syndicaliste révolutionnaire, fondateur de La Vie ouvrière ; l’essayiste socialiste Marcel Martinet ; le journaliste et pacifiste Henri Guilbeaux ; Amédée Dunois, anarchiste, puis syndicaliste révolutionnaire et plus tard communiste avant de devenir socialiste ; l’instituteur socialiste et pacifiste Fernand Loriot ; Raymond Lefebvre, écrivain, journaliste, traumatisé par la guerre, socialiste et pacifiste : bref, des syndicalistes et des socialistes hostiles à la guerre et pacifistes convaincus. Trotsky va se rapprocher de Lénine et tout faire pour activer la rupture de ces courants de gauche avec l’Union sacrée et les socialistes, avant d’être expulsé de France en 1916.

    Ce troisième séjour est capital en raison des multiples liens noués avec les milieux socialistes et syndicalistes français par un homme qui, dans les mois qui suivent, accédera au pouvoir en Russie.

    L’H. : Et puis, bien sûr, il y a le séjour le plus important, dans les années 1930.

    M. L. : Oui, c’est le dernier séjour, très différent, du 24 juillet 1933 au 14 juin 1935. C’est « Trotsky le Proscrit », mais un proscrit décidé à tout recommencer et c’est là, en France, qu’il prend de nombreux contacts, surtout avec ceux que l’on commence à appeler les « trotskistes », des syndicalistes et des intellectuels en particulier : Pierre Naville, David Rousset, Fred Zeller, Jean Rous... Il se lie également avec des personnes qui ont une sympathie pour lui - même si ces rapprochements sont souvent suivis de ruptures : André Breton, Benjamin Perret, Simone Weil, André Malraux, Marceau Pivert, Daniel Guérin. Il est extraordinairement actif, dans un environnement hostile, à la fois du côté de la droite et du côté des staliniens.

    Si la question est celle du rôle de Trotsky lui-même dans la naissance du trotskisme en France, ces voyages, surtout le dernier, ont été déterminants.

    J’ajouterai une remarque. Trotsky a été, pour reprendre la formule de Pierre Broué, « la voix de l’Internationale communiste » lorsqu’il était au pouvoir. De 1921 à 1923, il a apporté une contribution essentielle à la naissance du Parti communiste français. Pour cela, il a fallu démolir le parti socialiste. Dans cette perspective, il a violemment dénoncé les francs-maçons et les intellectuels présents dans le parti, fustigé les pratiques traditionnelles du socialisme démocratique et s’est efforcé d’inculquer les valeurs et les méthodes d’action bolcheviques dans le parti français.

    Or le créateur a engendré une créature qui s’est retournée contre lui, puisque la majorité du PCF a choisi Staline et que Trotsky n’a pas eu l’influence qu’il espérait. Cependant, celui-ci s’est trouvé en mesure d’attirer une partie des multiples oppositions qui se sont manifestées de manière récurrente à l’intérieur du PCF. Il a séduit des communistes intellectuels notamment parmi les instituteurs et ouvriers mais ouverts à la culture et à la lecture ayant souvent l’expérience du syndicalisme.

    L’H. : Pourquoi Trotsky s’installe-t-il en France lorsqu’il est chassé d’URSS par Staline ?

    M. L. : Il connaît la France et son histoire ; il y a des amis ; il parle le français. Retenons que, sur l’intervention en particulier d’Alexis Leger le poète Saint-John Perse auprès du ministre des Affaires étrangères, Paul Boncour, celui-ci lui a offert l’hospitalité. Cela sous le gouvernement Daladier et malgré les protestations des communistes.

    Il vit d’abord à Saint-Palais, dans les Charentes ; ensuite, à partir de novembre 1933, à Barbizon pour la proximité avec Paris. Puis il est expulsé de Barbizon en avril 1934. Pendant toute une période, il erre en France, avant de s’installer à Domène, près de Grenoble, en juillet 1934, pour un peu moins d’un an : il est expulsé par le gouvernement Laval le 14 juin 1935.

    C’est aussi en France, après son expulsion, qu’est fondée la IVe Internationale, le 3 septembre 1938, dans une ferme près de Paris. En l’absence de Trotsky, ses amis 22 délégués, supposés représenter 11 sections nationales créent cet organisme.

    L’H. : Pourquoi une nouvelle Internationale ?

    M. L. : Depuis 1864, les mouvements ouvriers ont cherché à créer des fédérations qui dépassaient les frontières. La Ire Internationale s’est éteinte en 1876 ; la IIe, créée en 1891, est l’Internationale socialiste qui existe encore aujourd’hui.

    En 1919, Lénine a lançé la IIIe Internationale, dite encore « Internationale communiste » ou « Komintern », qui oumettait en fait les partis communistes nationaux à Moscou. Trotsky en a été un agent efficace. Mais, à partir des années 1930, dans son combat contre Staline, il commence à penser qu’il n’arrivera pas à renverser le cours des choses sans reconstituer une autre organisation, une direction « véritablement » révolutionnaire. C’est une obsession pour lui : cette direction révolutionnaire doit être au niveau des tâches politiques mondiales. Il faut donc constituer une IVe Internationale.

    Cette organisation révolutionnaire, que Trotsky incarne, se donne une doctrine : le léninisme. C’est une des dimensions fondamentales du trotskisme : revenir au léninisme, qui aurait été dévoyé par Staline.

    Le trotskisme est donc à la fois la critique du stalinisme et la volonté de détruire le capitalisme ; cette double résolution, née de l’affrontement entre Trotsky et Staline à la fin des années 1920, cristallise peu à peu dans les années 1930.

    L’H. : Et la France va être le laboratoire de cette double résolution ?

    M. L. : En effet. Dans les années 1930, un certain nombre de gens, en France, choisissent Trotsky contre le stalinisme, et vont se retrouver autour de lui. Cette période est plutôt favorable aux trotskistes, comme elle l’est à l’ensemble des forces de gauche.

    Dans l’histoire du trotskisme, il existe cependant deux stratégies alternatives ou complémentaires. A certains moments, l’autonomie prime, et pour les trotskistes la priorité consiste à renforcer leur propre organisation. A d’autres moments, au contraire, ils estiment que cette carte est difficilement jouable. Il est alors préférable d’agir principalement à l’intérieur des partis sociaux-démocrates, voire, selon certains trotskistes et à certaines périodes, au sein même des partis communistes ou des syndicats : cela s’appelle pratiquer l’« entrisme ».

    Les années 1930 sont les années du Front populaire ; les communistes développent une stratégie d’union avec les socialistes et les radicaux. En 1934, Trotsky estime qu’en France ses proches doivent entrer à la SFIO. Cela suscitera de fortes polémiques parmi ses partisans. Ceux qui suivent ses consignes s’organisent dans une tendance « bolchevique-léniniste » et éditent La Vérité . Mais Trotsky changera de position un an plus tard et exigera la sortie de la SFIO, ce qui, de nouveau, divisera ses amis.

    En 1936, les positions trotskistes se renforcent parce qu’elles convergent en partie avec celles de Marceau Pivert, l’homme qui dirige la « gauche révolutionnaire » au sein de la SFIO et qui lance en juin le fameux mot d’ordre : « Tout est possible ! ».

    Les pivertistes constituaient la gauche du parti socialiste. Ils étaient proches de Trotsky sans être trotskistes ils eurent même de profondes divergences. Cependant, quand Pivert a été exclu de la SFIO, un certain nombre de trotskistes se sont ralliés à son Parti socialiste ouvrier et paysan PSOP.

    L’H. : Les années 1930 et le Front populaire sont donc le premier moment fort de l’influence trotskiste en France. Il y en aura d’autres ?

    M. L. : Oui. Après l’épisode des années 1930, on peut noter trois autres moments fastes pour le trotskisme en France.

    Le deuxième moment se situe au lendemain de la guerre, entre 1945 et 1947. Le paradoxe est alors que le trotskisme est très faible politiquement à peine 1,5 %-1,6 % des voix aux élections, mais son influence est parfois, localement, déterminante.

    Le cas le plus connu est la grève d’avril-mai 1947 chez Renault, qui fait partie de la mythologie du trotskisme : l’une des branches du trotskisme, représentée par l’Union communiste, fondée en 1942 et ancêtre de Lutte ouvrière LO, y joue un rôle indéniable ; le PCF dénonce à cette occasion les agissements des « hitléro-trotskistes » . Les trotskistes exercent donc une influence dans certaines entreprises et dans plusieurs grèves, par exemple dans la métallurgie ou l’imprimerie, au moment où le parti communiste se trouve au pouvoir. Du reste, la grève de Renault en 1947 a contribué, à l’aube de la guerre froide, à la révocation par Paul Ramadier des ministres communistes le 4 mai 1947.

    Le troisième moment fort de l’influence trotskiste en France, le plus important, se situe dans les années 1960-1970, les grandes années dites du « gauchisme » avant et après 1968.

    Les trotskistes, surtout ceux de la Jeunesse communiste révolutionnaire emmenée par Alain Krivine, ne sont guère nombreux mais se trouvent en phase avec une partie de la jeunesse étudiante. Ils savent capter sa révolte, ses inquiétudes, ses exigences, ses aspirations par rapport à la société française comme par rapport aux événements qui se déroulent dans le monde, par exemple la guerre du Vietnam que mènent les Américains. Ils tentent de donner une cohérence idéologique marquée du sceau du marxisme à cette ébullition. Dans la période qui suit Mai-68, les trotskistes débordent parfois dans certains secteurs, notamment ceux de la fonction publique et du syndicalisme.

    C’est l’époque où Lionel Jospin est membre de l’Organisation communiste internationaliste fondée en 1965 ; Edwy Plenel, aujourd’hui directeur de la rédaction du Monde , est alors un des dirigeants de la Ligue communiste révolutionnaire LCR, cependant que tant d’autres jeunes et moins jeunes se socialisent à la politique au sein des structures trotskistes.

    La quatrième phase de l’influence trotskiste en France se déploie depuis le début des années 1990...

    L’H. : Qu’est-ce qui marque le départ de cette flambée des années 1990 ?

    M. L. : Certainement les grèves de novembre-décembre 1995. Et, plus généralement, l’expression d’un certain type de mécontentement social qui ne trouve plus son débouché dans les grandes confédérations syndicales et les partis de gauche. Et puis l’expérience de la gauche plurielle, en 1997-2002, avec cinq années de participation communiste. Un parti communiste dont l’affaiblissement, le déclin et même, désormais, la décomposition ouvrent un espace à gauche.

    Notez que l’on retrouve toujours la même configuration : quand le parti communiste fait le choix de l’union de la gauche et, plus encore, de la participation gouvernementale, il dégage un espace sur sa gauche qui permet à des militants bien organisés de s’exprimer. Deux nouveautés récentes se font jour néanmoins : jamais le PCF n’avait connu une expérience si longue de participation au gouvernement, ce qui a accentué sa crise d’identité ; jamais il n’a été aussi exsangue. Et sans doute est-ce la raison pour laquelle le trotskisme peut espérer avoir, cette fois, un certain avenir politique, limité mais réel.

    L’H. : Comment expliquez-vous que des groupes, qui se réclament des mêmes références idéologiques, soient dans l’incapacité de s’unir ?

    M. L. : Il s’agit, sans conteste, d’une particularité du trotskisme, qui fait souvent sourire : dès qu’il y a deux trotskistes, une scission s’annonce ! D’ailleurs, nous n’évoquons pas, dans cet entretien, le maquis des organisations trotskistes que certains historiens ont tenté de démêler : des heures de discussions n’y suffiraient pas !

    Ce qui m’intéresse ici, c’est d’en comprendre la signification. Pendant toute une époque, et encore de nos jours dans certaines organisations qui s’en réclament, le trotskisme a placé les textes marxistes au coeur de sa réflexion. Les écrits de Trotsky formaient la colonne vertébrale du mouvement ; ils constituaient son ADN, ils déterminaient une large part de son identité. Face à ce qu’ils estimaient être les simplifications staliniennes, les trotskistes entendaient rétablir la densité de la pensée du « Vieux » surnom donné par ses amis à Trotsky, pensée qui permettait, selon la célèbre formule de Marx, non pas tant de comprendre le monde, et notamment le stalinisme, mais de le transformer. De sorte qu’il y a toujours eu de grands débats sur l’interprétation de la pensée de Trotsky, et je pense que c’est l’explication fondamentale des divergences idéologiques : un conflit permanent d’exégètes.

    S’ajoutent trois autres considérations. D’abord, le fait d’être très minoritaires sans guère de prise sur le réel, sauf en de rares instants. Cette situation incite à survaloriser l’interprétation de telle ou telle phrase du chef, à examiner à la loupe le moindre événement qui donne lieu à des débats exténuants sur sa signification au regard de la théorie. Ces processus sont aussi à l’oeuvre dans les très petits groupements religieux. Ensuite intervient une composition sociologique particulière, marquée par la présence des intellectuels.

    Enfin, la réalité interpellait de manière continue les trotskistes. Ainsi, deux sujets de réflexion les obsédaient. Le premier concernait la nature de l’URSS. Fallait-il la considérer comme un « État ouvrier dégénéré » , selon l’expression de Trotsky ? Ou alors, estimait-on que la bureaucratie au pouvoir formait désormais une classe sociale, ce qui modifiait en profondeur la caractérisation de l’URSS ? Ou bien encore, cette dernière était-elle un État totalitaire, ainsi que Trotsky lui-même le suggérait dans ses derniers écrits, avant que le piolet de Ramon Mercader ne s’abatte sur sa tête, le 20 août 1940 ?

    Deuxième grand sujet de discussion : la révolution est-elle en train d’éclater quelque part ? En juin 1936, Trotsky croit pouvoir annoncer son commencement en France et en Espagne, et, par la suite, dès qu’un changement un peu radical se produit dans le monde, immédiatement les trotskistes espèrent que la révolution à laquelle ils travaillent sans relâche s’amorce : la Yougoslavie de Tito en 1947, Cuba en 1959, l’Algérie au lendemain de l’indépendance de 1962... A chaque fois, ils plongent dans des débats qui n’en finissent plus. Le fait d’être ultraminoritaires, sans responsabilité politique, hisse les débats théoriques au premier rang des préoccupations, et la division s’ensuit.

    L’H. : Le trotskisme aurait-il été un lieu ouvert aux débats libres ?

    M. L. : Il y a une dualité du trotskisme. D’un côté, il a les caractéristiques d’une petite secte. Mais, d’un autre côté, il représentait aussi un espace de relative liberté dans le mouvement communiste à l’époque du stalinisme et encore dans les années qui ont suivi. Par exemple, il permettait de disposer d’informations et de données historiques, sans doute idéologiquement orientées mais néanmoins partiellement justes, sur les pays de l’Est qu’on ne possédait pas au PCF.

    Ce n’est pas un hasard si l’Italie n’a guère connu de trotskisme. De l’autre côté des Alpes, la présence du fascisme de 1922 à la fin de la Seconde Guerre mondiale puis la puissance du PC italien n’ont pas laissé d’espace aux trotskistes, et, par la suite, après 1956, avec le processus de déstalinisation, ce même Parti communiste italien s’est avéré un peu plus ouvert aux débats et moins sectaire que le parti français, même si cette ouverture n’a jamais été aussi totale qu’ont voulu le faire croire ses dirigeants et de nombreux observateurs.

    J’ajouterai que l’une des autres raisons de cette propension à la division et à la scissiparité provient aussi de la longue histoire du trotskisme. Le jeune Olivier Besancenot, qui se présente et est présenté comme une nouveauté dans la vie publique, appartient en fait à une très vieille famille politique. De ce fait, le trotskisme est traversé par des querelles ancestrales qui se transmettent de génération en génération, marqué par de vieilles blessures jamais complètement cicatrisées dans les mémoires des militants les plus aguerris, secoué par des rivalités d’organisation, travaillé par des concurrences humaines pour le contrôle du pouvoir, fût-il réduit.

    L’H. : Le trotskisme serait-il alors une sorte de protestantisme du communisme ? Le protestantisme a nourri lui aussi des chapelles, face au pape, l’unique source de vérité, comme l’est à sa manière le parti communiste...

    M. L. : La comparaison est stimulante. Il est vrai que les chapelles trotskistes sont aussi variées que les sectes protestantes. Des clivages réels, profonds, encore repérables les opposent. Ainsi, le trotskisme de Lutte ouvrière, symbolisée par Arlette Laguiller, représente un communisme traditionnel, ouvrier - pour ne pas dire ouvriériste - et dogmatique. Le trotskisme de la Ligue révolutionnaire se veut, quant à lui, un communisme à visage humain, souriant, plus avenant, plus féministe, plus ouvert à l’air du temps, par exemple au mouvement altermondialiste, bref plus « mouvementiste », pour forger un italianisme, mais sans que l’intransigeance doctrinale ait vraiment disparu. Tandis que le trotskisme du Parti des travailleurs de Pierre Boussel et Daniel Gluckstein s’efforce de combiner le marxisme révolutionnaire léniniste et la défense de la république laïque et de l’État social. Ces diverses sensibilités intellectuelles et idéologiques expliquent, pour une part, que le trotskisme aura le plus grand mal à surmonter ses divisions.

    Néanmoins, l’unité du trotskisme tient à ce que tous ces courants se réfèrent au même fondateur, Trotsky, et que tous développent une critique à la fois du capitalisme et du stalinisme. Tous estiment qu’il existe une pureté idéale du communisme, que chacun prétend incarner.

    L’H. : L’unité, c’est aussi la révolution. Comment les trotskistes la préparent-ils ?

    M. L. : Pour les trotskistes, en bons léninistes, la révolution suppose de disposer d’un parti révolutionnaire. Ils passent leur temps à tenter d’en forger un. Cependant, sur la conception de ce parti, ils ont, dans l’histoire, souvent divergé quant aux tâches politiques qu’il avait à accomplir et à ses modalités de construction.

    De nos jours encore, pour se limiter aux deux principales organisations, la Ligue communiste révolutionnaire et Lutte ouvrière ne s’estiment pas être « le » parti révolutionnaire, mais cherchent à en faire émerger un. La LCR semble accepter maintenant l’idée d’un parti ouvert à d’autres sensibilités et, en 2003, elle a même renoncé au principe de la dictature du prolétariat. Contrairement à LO, qui se prononce toujours pour une conception plus orthodoxe du futur parti révolutionnaire.

    L’H. : Mais la construction d’un parti ne monopolise pas leurs activités.

    M. L. : Non, mais elle les occupe considérablement. En outre, les trotskistes militent dans des « organisations de masse », pour reprendre le jargon communiste, syndicats et associations où ils cherchent à faire pénétrer leurs idées. A l’époque du stalinisme et même après, les trotskistes se consacraient à cette activité en essayant de profiter de la relative liberté que leur offraient, par exemple, certains syndicats.

    L’H. : C’est ce qu’ils appellent l’« entrisme ». Quelle était la position de Trotsky sur ce sujet ?

    M. L. : Trotsky, on l’a dit, a pu préconiser en 1934 l’entrée des trotskistes au sein des partis sociaux-démocrates, et donc en France au sein de la SFIO. Face à la menace fasciste, devant les prémices de l’unité entre communistes et socialistes et voyant les mobilisations populaires qui s’organisaient en France et en Espagne, les trotskistes devaient faire entendre leur message. Or, trop faibles, ils ne pouvaient guère peser en tant que parti autonome. Il fallait donc agir au sein des partis sociaux-démocrates, partis de masse ouvriers sous direction bourgeoise, sachant qu’il n’existait aucune marge de manoeuvre au sein des PC stalinisés.

    Encore une fois, cette orientation a fortement divisé les amis de Trotsky. Il en ira de même, au point de déclencher une scission, dans les années 1950, lorsqu’un dirigeant de la IVe Internationale, Michel Raptis, dit « Pablo », proposera de faire de l’entrisme dans les partis communistes.

    L’H. : En France, le nom de Lambert a été attaché à cette pratique de l’entrisme. Qui est cet homme ?

    M. L. : La branche du trotskisme qui en France s’est spécialisée dans l’entrisme est celle du « lambertisme », créée en 1953 à la suite de cette scission.

    Pierre Lambert a pour vrai nom Pierre Boussel. Né à Montreuil dans une famille ouvrière juive en 1920, ouvrier puis employé, il fut communiste avant d’être attiré par le trotskisme dans les années 1930.

    Il fut proche de Marceau Pivert avant d’adhérer vraiment à des organisations trotskistes et de devenir un dirigeant international. Il adhéra à Force ouvrière FO en 1961, et exerça des responsabilités au sein de ce syndicat à la Sécurité sociale.

    Aujourd’hui, les « lambertistes » ont plus d’un demi-siècle d’expérience. Ils combinent l’existence d’un parti en tant que tel et la politique d’entrisme dans les syndicats, Force ouvrière par exemple, et dans le parti socialiste. L’un des exemples les plus fameux, que l’on connaît maintenant parce qu’il a lui-même fait son « coming out », est Lionel Jospin.

    L’H. : Cet entrisme, quel bilan peut-on en tirer ?

    M. L. : L’échec politique est patent les trotskistes n’ont pas pris le contrôle de ces organisations. Mais il y a sans doute une réussite dans le domaine des idées et dans certaines actions sociales. Dans le cas de FO, l’influence des trotskistes auprès de Marc Blondel est avérée. Elle permet aux lambertistes de répandre leurs idées, et d’agir pour la défense des corporatismes parfois les plus étroits.

    L’H. : L’influence, ce peut être aussi le « trotskisme culturel », dont parle Edwy Plenel ?

    M. L. : Je ne crois pas à la thèse d’Edwy Plenel qui nous explique, dans Secrets de jeunesse , que la France a été sauvée à la fois par le trotskisme et par le péguysme1. La notion de trotskisme culturel mériterait une discussion serrée. Certes, dans les années 1960-1970, le trotskisme a participé à la socialisation de nombreux jeunes, qui ont exercé ensuite des métiers d’influence dans les médias, l’université, la recherche, le syndicalisme, la politique, voire le monde de l’entreprise. Ces « baby-boomers » sont passés de la préparation de la révolution à des positions de pouvoir dans la société française, sans toujours avoir rompu complètement avec leur passé2.

    On remarquera, à l’occasion, que le trotskisme - et c’est l’une des ses grandes forces -, joue sur deux registres. Le premier, c’est celui de la fidélité au léninisme, et ça a très bien fonctionné dans les années 1960-1970. L’autre registre consiste à se présenter comme l’un des meilleurs défenseurs de la démocratie, parce que, contre le stalinisme, les trotskistes défendaient ce qu’ils appelaient la démocratie « ouvrière », mais la démocratie quand même. Cela leur permet d’occulter les propos et les actes de Trotsky, qui fut aussi un adversaire déterminé de la démocratie représentative.

    L’H. : Benjamin Stora, dans La Dernière Génération d’Octobre, raconte comment, jeune lycéen venant d’Algérie, il a trouvé en 1968 dans le trotskisme une structure d’accueil3.

    M. L. : Le trotskisme, dans les années 1960, a eu plusieurs aspects. Pour un certain nombre de communistes, en rupture avec le PCF, il est resté un « sas de décompression », selon l’expression de l’historien Alain Besançon, qui lui-même est passé par là. D’un autre côté, il fut l’une des structures d’accueil de la révolte des baby-boomers il y en a eu d’autres, comme celle du maoïsme. Révolte contre les inégalités sociales, contre une société hiérarchisée, contre le PCF et l’URSS, elle était le fait d’une jeunesse assez opulente, vivant intensément le temps présent, indignée aussi par les guerres coloniales et surtout par celle du Vietnam, fascinée par Che Guevara et attirée par la violence.

    L’H. : Parmi ces jeunes gens qui adhèrent, il y avait beaucoup de Juifs. Estimez-vous qu’il y a effectivement des relations particulières entre certains milieux juifs et les trotskistes ?

    M. L. : Oui, on peut penser à Pierre Lambert, Alain Krivine, Daniel Bensaïd... Je m’appuierai ici sur les remarquables observations d’Annie Kriegel dans Communismes au miroir français pour essayer de comprendre ce rapport fort qui a existé et existe peut-être encore entre Juifs et trotskisme.

    En premier lieu, des Juifs en Russie ou en Europe de l’Est ont recherché leur émancipation, notamment dans le communisme : or l’expérience du communisme stalinien s’est révélée particulièrement dramatique pour eux. Avec le trotskisme, ils pouvaient espérer retrouver les conditions de leur émancipation. C’est l’idée que le sort des Juifs sera réglé dans un universalisme que le communisme incarne. Mais le communisme régénéré, puisque Trotsky prétend représenter la pureté léniniste, dévoyée par la médiocrité stalinienne.

    D’autre part, ayant noté la forte présence des Juifs, ashkénazes notamment, à la Ligue communiste, Annie Kriegel avançait l’hypothèse féconde que le trotskisme est dispersé dans le monde comme les Juifs le sont dans la Diaspora. Ces derniers ont le respect des textes et le plaisir de l’exégèse, et ils recréent au sein du trotskisme l’ambiance du shtetl .

    Enfin, Annie Kriegel suggérait que les Juifs retrouvent dans le trotskisme les tensions presque inhérentes à leur situation. D’un côté, ce que j’appellerai l’ « illusion romantique » : Trotsky représente la nouvelle version du Juif errant, celle du révolutionnaire errant.

    D’un autre côté, le trotskisme rappelle la fatalité de la condition juive. Que représente Trotsky ? La possibilité de s’arracher à ses origines et, dans le même temps, l’impossibilité d’y échapper. Lui qui a renoncé à son nom juif, Léon Davidovitch Bronstein, veut être un simple rouage de la machinerie du parti, un homme sans passé mais projeté dans l’avenir.

    Cependant, sa condition de Juif le rattrape. Il souffrira de l’antisémitisme en Russie, et Staline utilisera ensuite contre lui l’argument de l’antisionisme. Je me demande même si, du coup, les Juifs qui adhèrent au trotskisme, inconsciemment ou consciemment, ne se situent pas dans la même perspective, s’ils n’aspirent pas à se dissoudre dans un collectif tout en sachant la quasi-impossibilité de cette solution. Illusion dramatique d’un côté et tragédie de la condition juive de l’autre. Je crois qu’il y a quelque chose de cet ordre, c’est-à-dire que les Juifs qui rejoignent le trotskisme pensent qu’avec le communisme trotskiste ils vont pouvoir se dépouiller d’une part de leur identité originelle tout en percevant ou en sachant - non sans fatalité et un soupçon d’ironie - les limites d’une telle entreprise.

    L’H. : Trotsky lui-même a-t-il parlé de ses origines juives ?

    M. L. : Trotsky a essayé d’apparaître le moins juif possible. Il sait évidemment que c’est difficile. Au lendemain de la révolution de novembre 1917, avant de devenir commissaire du peuple aux Affaires étrangères, il se voit proposer la tête du gouvernement - qu’il décline, pensant que la charge en revenait à Lénine - puis le commissariat du peuple à l’Intérieur - qu’il refuse, expliquant que le fait d’être juif risquerait d’alimenter l’antisémitisme.

    Trotsky pense que la réalisation du communisme résoudra la question juive, mais celle-ci persiste : à la fois du fait de l’antisémitisme russe et, à titre posthume, par l’utilisation que fera Staline de l’antisionisme.

    L’H. : Comment comprenez-vous les liens ou les complaisances qui existent aujourd’hui entre les trotskistes et certains mouvements islamistes ?

    M. L. : Selon un vieux principe : « les ennemis de mes ennemis sont mes amis. » Par conséquent, les trotskistes considèrent que Tariq Ramadan, en dépit des désaccords qu’ils ont avec lui, est utile à la cause. La LCR a officiellement approuvé sa participation au Forum social européen de Paris l’automne dernier, ce qui a provoqué des remous dans ses rangs, notamment chez les militantes féministes.

    L’H. : Que pensez-vous de l’accord électoral conclu entre Lutte ouvrière et la Ligue communiste ?

    M. L. : L’accord de novembre-décembre 2003 montre que ces deux forces politiques ont compris les enjeux du nouveau mode de scrutin régional, qui impose d’obtenir 10 % des suffrages exprimés pour figurer au second tour : il leur fallait s’unir. C’est à la fois risqué et c’est peut-être bien joué.

    C’est risqué parce que cet accord peut froisser la sensibilité d’une partie d’un électorat plutôt altermondialiste qui se défie de Lutte ouvrière. C’est bien joué, parce que ce même accord permettra à ceux qui veulent exprimer leur mécontentement de ne pas trop se poser de questions.

    Le vote pour ces organisations est, pour une part infime, un vote de gens convaincus, mais c’est aussi un vote de déçus du socialisme et du communisme qui conservent de fortes attaches à ces partis et partagent des valeurs de la gauche. Enfin, c’est un vote de protestation. Mais la réussite de l’extrême gauche, comme le montrent de nombreuses enquêtes d’opinion, réside en ce que ce vote apparaît maintenant légitime et justifié et que certaines de ses thématiques sont approuvées.

    Ces organisations convergent avec la mouvance très hétérogène de l’altermondialisme pour proposer une vulgate organisée autour de quelques préceptes simples, pour ne pas dire simplistes : l’anticapitalisme qu’on appelle aujourd’hui l’« antinéolibéralisme », l’anti-impérialisme qu’on appelle aujourd’hui l’anti- ou l’« altermondialisme », et surtout l’antiréformisme qui se traduit par une féroce critique du parti socialiste. Cette vulgate essaime dans un certain nombre de milieux, avec beaucoup de rapidité : les trotskistes en sont à la fois les instigateurs, avec d’autres, et les bénéficiaires.

    L’H. : Qui sont aujourd’hui les militants trotskistes en France ?

    M. L. : C’est difficile de le savoir pour Lutte ouvrière, car les enquêtes font défaut. Pour la Ligue communiste révolutionnaire, on dispose d’une étude récente, faite à Sciences-Po, par une jeune étudiante, Florence Johsua4. Elle s’est appuyée sur 1 800 fiches d’adhérents, sur les 3 000 que revendique la Ligue. L’étude montre que la LCR est l’une des organisations politiques les plus jeunes : près de la moitié des adhérents ont moins de quarante ans. Ils sont plutôt enseignants ou fonctionnaires, avec aussi une présence non négligeable de représentants de catégories populaires. L’auteur conclut que la LCR présente une structure intermédiaire d’un point de vue sociologique entre celle du parti socialiste et celle du parti communiste.

    Si l’on s’intéresse maintenant non plus aux militants mais aux électeurs, on constate que le vote de Lutte ouvrière est plus populaire, notamment dans les zones anciennement industrielles et influencées par le parti communiste, comme le Pas-de-Calais. Il apparaît aussi dans des zones où il n’y a jamais eu de forte présence communiste, mais où, traditionnellement, Arlette Laguiller arrive à capter le vote protestataire.

    Le vote de la Ligue communiste est plus urbain, émis par des gens de plus haut niveau de diplômes, de plus grande qualification, plus tertiaire, et très souvent installés dans des villes universitaires. La structure des votes est donc différente.

    L’H. : Et les « anciens trotskistes » ? Est-ce vraiment une catégorie homogène ?

    M. L. : L’écrivain italien Ignazio Silone avait dit que le principal parti était celui des ex-communistes. En France, il y a aussi celui des ex-trotskistes. Mais être ex-communiste et être ex-trotskiste, ce n’est pas exactement la même chose ! Cesser d’être communiste, du temps où le PCF était rayonnant, signifiait accomplir une rupture existentielle.

    L’H. : Qu’est-ce que cette rupture existentielle ?

    M. L. : C’est la rupture d’un mode de vie, la nécessité de trouver parfois d’autres ressources pour vivre, le fait d’être banni, stigmatisé par vos anciens camarades... Comme le parti communiste formait une solide contre-société, la radicalisation de la rupture était très forte. On pense évidemment aux itinéraires de gens Annie Kriegel, François Furet, Alain Besançon, Emmanuel Le Roy Ladurie pour la génération des années 1950 qui se sont non seulement éloignés du communisme mais aussi de la gauche et sont, pour nombre d’entre eux, allés à droite.

    Dans certains cas, la sortie du trotskisme présente des caractéristiques semblables. Il me semble toutefois que celle-ci représente plutôt une rupture idéologique et la manifestation d’un découragement. Le trotskisme a l’habitude d’alterner de courtes périodes fastes avec de longues traversées du désert. La rupture se produit souvent en ces moments d’isolement. Elle peut sans conteste comporter une lourde signification personnelle et des témoignages en attestent.

    Mais, comme le trotskisme n’a jamais été réalisé, comme il ne représente qu’une promesse, la rupture est au total plus aisée que dans le cas de la sortie du PCF du temps de sa splendeur, ou même chez les maoïstes quand ils ont pris conscience de la réalité de la Chine de Mao qu’ils glorifiaient - Krzysztof Pomian a une formule extraordinaire : « Les trotskistes n’ont aucun passif. Le principe de réalité ne les a jamais affectés. »

    Rompre avec une promesse, c’est comme s’arrêter de rêver : c’est souvent pénible mais relativement facile à assumer. De ce fait, l’ancien trotskiste peut refaire sa vie tout en gardant une complaisance, voire une nostalgie de son expérience puisqu’elle n’a guère comporté d’implications dans le réel. Il est facile de le vérifier, en particulier dans le monde des médias, où il y a effectivement beaucoup d’anciens trotskistes qui, parfois, revendiquent avec fierté leur passé.

    L’H. : Et ils participent à la gloire du trotskisme ?

    M. L. : Oui, nombre d’entre eux cultivent une représentation très positive du trotskisme, ce qui, de ce point de vue, signale sa réussite formidable, en France du moins. D’abord le trotskisme a construit la légende dorée de Trotsky inspirée par lui-même, grâce, notamment, à son autobiographie, Ma vie , qui en fasciné beaucoup : les trotskistes ou les ex-trotskistes ne cessent d’entretenir cette légende dorée.

    L’H. : Qu’est-ce qu’on retient de Trotsky quand on est trotskiste et qu’est-ce qu’on préfère oublier ?

    M. L. : On retient la figure romantique de Trotsky, le chef de guerre, le grand orateur, mais aussi le proscrit, l’intellectuel qui fait de la politique, qui agit. Et puis, bien sûr, le critique de Staline et la victime de Staline. Éventuellement, on retient aussi la perspective de révolution mondiale et puis une forme d’ouverture culturelle avec l’exemple fameux du manifeste écrit avec André Breton et Diego Rivera au Mexique en 1938 : le Manifeste pour un art révolutionnaire et indépendant .

    Ce qu’on oublie, c’est la face sombre : l’écrasement des marins soviétiques insurgés de Kronstadt en mars 1921, le chef de l’Armée rouge qui revendique la terreur rouge, celui qui, au moment où des protestations sont émises à l’intérieur même du parti bolchevique contre la Tchéka, dit qu’il faut la maintenir, le défenseur théorique du terrorisme dans Terrorisme et communisme , qui s’appellera ensuite Défense du terrorisme , de la pratique de la violence.

    On oublie aussi son opuscule Leur morale et la nôtre , publié en 1939, dans lequel Trotsky affirme que la seule morale qui compte, c’est la morale révolutionnaire et que tout le reste, c’est de la fausse morale5. Bref, le Trotsky révolutionnaire, le Trotsky adepte de la pratique de la violence pour faire triompher la cause.

    L’H. : Quelle est la plus grande victoire du trotskisme ?

    M. L. : Le trotskisme, c’est une entreprise de préservation du communisme. Ses adeptes et nombre de ses anciens adeptes confortent l’idée que le communisme est une très bonne chose. Il y a l’horrible stalinisme et le bon communisme. Le trotskisme est une formidable entreprise de ressourcement du communisme. Et c’est tellement vrai que beaucoup de gens continuent de distinguer stalinisme et communisme. Voilà l’un des grands succès du trotskisme.

    Il a contribué à entretenir en France ce que j’ai appelé la passion française du communisme, qui, de nos jours, se traduit par une forme de nostalgie et de complaisance à l’égard du communisme, en dépit des crimes du communisme au pouvoir6.

    Cela n’est pas sans conséquences sur la gauche. Beaucoup d’intellectuels continuent de partager l’analyse du stalinisme que propose Trotsky. Que dit Trotsky ? Que si Staline a gagné, c’est parce qu’il était « médiocre » . Cela veut dire quoi ? Que l’idée était juste et que les vrais théoriciens - sous-entendu Lénine et Trotsky - avaient engendré une magnifique théorie. Théorie qui ensuite a été dévoyée par des médiocres, Staline mais aussi, implicitement, le peuple. Se manifeste de la sorte le rapport ambivalent des intellectuels au peuple.

    C’est sans doute là la plus grande faute politique commise par Trotsky : Staline s’est avéré être un homme politique très habile. Or la gauche française, au-delà même des rangs du trotskisme, continue de penser que Staline était un balourd, un crétin, et Trotsky un génie. Le trotskisme n’a vraisemblablement guère d’avenir politique crédible en France, le communisme non plus. Mais le communisme reste dans ce pays un lieu de mémoire enchanté, édifié par les communistes et les trotskistes, avec l’approbation de multiples personnes venues d’autres horizons politiques et intellectuels.

    Propos recueillis par Michel Winock.

    1. E. Plenel, Secrets de jeunesse , Paris, Gallimard, « Folio », rééd. 2003.

    2. Cf. Jean-François Sirinelli, Les Baby-Boomers : une génération, 1945-1969 , Paris, Fayard, 2003.

    3. B. Stora, La Dernière Génération d’Octobre , Paris, Stock, 2003.

    4. Florence Johsua, « La dynamique militante à l’extrême gauche. Le cas de la Ligue communiste révolutionnaire », mémoire de DEA de sociologie politique, IEP de Paris, 2003.

    5. L. Trotsky, Leur morale et la nôtre , Paris, J.-J. Pauvert, 1966.

    6. M. Lazar, Le Communisme, une passion française , Paris, Perrin, 2002.  

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